mercredi 13 novembre 2013

Corée du Sud : la surchauffe éducative, l'implosion démographique

Avant 1971, la journée scolaire en Corée du Sud était divisée en deux par manque de places. Une partie des écoliers fréquentait l'école le matin, l'autre l'après-midi. En 1980, presque tous les écoliers ayant terminé leur école primaire allaient à l'école secondaire.

Longtemps, le gouvernement sud-coréen a strictement réglementé l'admission à l'université et le nombre d'étudiants inscrits à chaque institution. Mais, en 1995, le gouvernement promit de mettre en place une « édutopie » et encouragea l'inscription massive d'étudiants aux universités privées.

En conséquence, le nombre d'étudiants explosa. La proportion d’élèves diplômés du secondaire qui poursuivent leurs études est passée de 40 % au début des années 1990 à près de 84 % en 2008. Mais depuis lors, fait remarquable, ce taux a diminué (voir graphique ci-dessous). L'obsession nationale de la Corée du Sud avec des niveaux sans cesse plus hauts d'inscription à l'université semble avoir atteint un plafond.


Par le passé, les parents poussaient leur enfant à s'inscrire à l'université quelles que soient son aptitude ou son inclination, de déclarer Seo Nam-Soo, ministre de l'Éducation. Certains voulaient que leur enfant aille à l'université parce qu'ils n'avaient jamais eu la chance d'y accéder eux-mêmes. Mais un nombre croissant pense désormais que leur enfant devrait faire ce qui le rend heureux, d'ajouter le ministre.

Les parents sont sans doute également dissuadés par le coût associé aux études universitaires. Tout au long de la scolarité de leur enfant, ils dépensent des sommes exorbitantes pour le préparer au très concurrentiel examen d'entrée à l'université, le suneung. Au total, l'éducation a représenté près de 12% des dépenses de la consommation l'année dernière.

Une grande part de ces dépenses est consacrée aux cours particuliers d'anglais. L'apprentissage de cette langue est devenu une « névrose collective », selon un professeur cité par The Economist. Certaines mères déménagent avec leur progéniture dans un pays anglophone. Une alternative moins coûteuse est de passer un été dans un simulacre de village anglais en Corée du Sud, comme le Gyeonggi English Village où les cabines téléphoniques sont rouges et où l'on ne parle que l'anglais. Rappelons que la Corée est voisine de la deuxième puissance économique au monde, la Chine, où plus d'un milliard de personnes parle le mandarin...

Le coût de l'éducation semble être la raison principale pour laquelle les Sud-Coréens ont si peu d'enfants. Les sondages indiquent que les Coréens citent les charges financières comme le principal obstacle à avoir plus d'enfants et ils identifient l'éducation comme l'une des composantes qui grèvent le plus leur budget. Thomas Anderson et Hans-Peter Kohler de l'Université de Pennsylvanie ont montré que les provinces en Corée du Sud avec les taux de fécondité les plus bas sont celles où les parents dépensent le plus en éducation .

La femme moyenne sud-coréenne attend désormais d'avoir 29 ans avant de se marier et plus de 30 ans pour fonder une famille. Certaines femmes ne font ni l'un ni l'autre. La proportion de femmes célibataires est passée de 9 % en 2000 à 15 % aujourd'hui. Et le taux de fécondité de la Corée du Sud, actuellement à 1,3 enfant par femme, reste obstinément bas.

Le problème fondamental de l'éducation des enfants en Corée du Sud, c'est trop peu d'enfants et trop d'éducation de résumer The Economist.
À peine plus d'un enfant
par femme coréenne

Beaucoup de Coréens du Sud disent vouloir plus d'enfants. Selon un sondage réalisé par l'Institut de recherche Hyundai, 58% des adultes veulent deux enfants et 13,5% en veulent trois. Si les souhaits de ces parents se réalisaient, le taux de fécondité de la Corée du Sud serait de 1,8 plutôt que l'abyssal 1,3. Mais la plupart des parents ne peuvent pas se le permettre.

Ces dépenses en éducation ne sont aujourd'hui plus rentables. Aller à l' université augmente les frais de scolarité et éloigne les jeunes du marché du travail pendant quatre ans. Après leurs études, il faut en moyenne onze mois pour qu'un jeune diplômé trouve un premier emploi. Une fois trouvé, les emplois des universitaires restent mieux payés et plus sûrs que les postes accessibles aux diplômés du secondaire, mais l'écart se rétrécit. Le McKinsey Global Institute estime que la valeur supplémentaire accumulée pendant la durée de la vie professionnelle associée à un diplôme d'université ne justifie plus la dépense nécessaire à l'obtention de ce diplôme. Le Coréen moyen ferait mieux de fréquenter une école secondaire publique et d'entrer ensuite directement sur le marché du travail.

Sans surprise, les jeunes Coréens du Sud ambitieux espèrent obtenir un emploi dans les secteurs en plein essor de l'économie. La médecine, le droit, la finance et le secteur public restent populaires, mais les grands conglomérats industriels, les chaebol (prononcé [tɕɛːbəl] soit tchêbeul), sélectionnent de plus en plus les meilleurs candidats. Comme la fonction publique et les professions libérales, Samsung, Hyundai et leurs pairs ont tendance à embaucher les jeunes diplômés dès leur sortie des meilleures universités. Rares sont ceux qui sont embauchés par les chaebol plus tard dans leur vie. Cela crée un double goulot d'étranglement sur ​​le marché du travail. Il n'y a que quelques employeurs intéressants parmi lesquels choisir et il n'existe qu'une seule chance réaliste de les rejoindre. En conséquence, les jeunes passent des années à bourrer leur CV et à se préparer pour les examens, surtout pour l'examen passé à 18 ans qui décide de l'université où ils pourront étudier.

Les jeunes coréens consacrent beaucoup d'efforts à une diplômanie coûteuse plutôt qu'à un apprentissage en profondeur. Le système exclut les talents à développement tardif : épanouissez-vous à 25 ans et il est trop tard. Et à très long terme, le poids de l'éducation est l'une des principales raisons pour lesquelles les femmes sud-coréennes donnent naissance à si peu d'enfants. Avec le taux de fécondité le plus faible des pays riches de l'OCDE, le vieillissement de la Corée du Sud risque d'être aussi rapide que sa croissance ne fut fulgurante.

Dans le passé, le gouvernement de la Corée du Sud a essayé d'aider les parents en interdisant les leçons particulières après l'école. (Le président de l'Université nationale de Séoul a dû démissionner après qu'on ait appris que son enfant prenait de telles leçons.) Mais de telles interdictions sont liberticides, elle a d'ailleurs été déclarée inconstitutionnelle en 2000. La réponse ne réside pas dans les écoles, mais dans l'économie en général et dans la création d'un marché du travail plus ouvert où plus d'entreprises sont intéressées à embaucher des personnes plus tard.

Pour The Economist, le gouvernement sud-coréen devrait faire trois choses. Tout d'abord, éliminer la réglementation qui divise le marché de l'emploi en employés permanents, payés plus que ce qu'ils valent, et les travailleurs temporaires, moins bien payés. Deuxièmement, il devrait encourager davantage d'entreprises, y compris étrangères, à investir les secteurs industriels dominés à l'heure actuelle par les chaebol, pour élargir de la sorte le nombre d'employeurs potentiels. Et troisièmement, il faut encourager les chaebol à se développer dans les services ce qu'ils se sont diplomatiquement abstenus de faire jusqu'à aujourd'hui. Commerce de détail, tourisme, transport local : tous ces secteurs bénéficieraient de l'influence et de l'efficacité des chaebol.

Le journal britannique conclut en écrivant que la Corée du Sud a étonné le monde par son rapide développement, mais pour les parents aux abois et des jeunes qui triment dur, il faudrait qu'elle décompresse un peu.

Notons qu'il est quand même étonnant de voir un journal de culture libérale prôner tant d'interventions de l'État...


Source




Soutenons les familles dans leurs combats juridiques (reçu fiscal pour tout don supérieur à 50 $)

Aucun commentaire: